Les Pensées d'une Lycéenne Frappée

Les Chroniques de la Nécropole, Cycle I: Les Maximov, Première partie: Nuit

--> Immortelle

Immortelle

            Olga jeta un coup d’œil au miroir et le regretta aussitôt. Avec ses traits tirés, ses cernes immenses et son regard vitreux, elle s’effrayait elle-même. Un fantôme. C’était presque un miracle qu’elle tienne encore sur ses jambes. Le mal qui était en elle la rongeait chaque jour un peu plus. C’était un mal sans nom. C’était un mal qu’elle porterait probablement tout le reste de sa vie ; qui ne serait probablement pas tellement longue.

            « Salut, » fit une voix derrière elle.

            Elle ne se retourna pas, se contentant de fixer le reflet de son interlocuteur. Mais elle n’avait pas besoin de cela pour connaître son identité.

            « Salut, Bastien. Bien dormi ? »

            L’adolescent haussa les épaules.

            « Comme d’habitude… »

            Il fit quelques pas dans sa direction. Elle quatorze ans et lui quinze, lui à peine plus grand qu’elle et presque aussi menu, Bastien fixait sur Olga son tendre regard vert. ‘Il a des yeux de filles’, plaisantait parfois certains de ses amis, référence à ses longs cils et à son regard un peu enfantin. Comme celle de son amie, sa chevelure était noire et raide comme des baguettes.

            Sans trop lui prêter attention, Olga mit distraitement la main sur sa gorge. Elle tripota nerveusement les nombreuses breloques qu’elle portait autour du cou. Ses doigts s’attardèrent plus particulièrement sur son étoile de David. Enfin, son étoile de David… Celui qu’elle avait dégotté autour du cou d’un homme mort, des années auparavant. Huit longues et douloureuses années.

            « Tu as mauvaise mine, Olietchka. »

            Elle eut un sourire vide.

            « Pas plus que d’habitude… Tu ne crois pas ?

- Non. Je crois que tu es malade. »

Le masque souriant d’Olga disparu pour rendre sa place à son expression maladive.

« Peut-être… Mais j’ai toujours guéri de tout. »

Elle lui fit enfin face.

« Et puis je ne peux pas mourir tout de suite… Tu sais bien ! Tant que la Nécropole a besoin de moi, je suis immortelle… »

Elle approcha son visage de celui du garçon et découvrit ses longues canines blanches et effilées. Son souffle emplit les narines de Bastien ; une odeur empreinte de maladie et de mort, mais aussi de la force magique qui emplissait cette frêle adolescente… Le jeune garçon ferma un instant ses paupières pour s’imprégner de ce que ce soupir. Quand il les rouvrit, elle n’était plus la créature fantastique qu’elle était devenue quelques courts instants. C’était juste Olga, pâle et malade. Mais immortelle.

« Tu as les cheveux dans les yeux, » lâcha-t-elle d’un ton parfaitement neutre.

Il eut un sourire amusé.

« Tu n’as rien de mieux à me dire, Olietchka ?

- Je n’ai pas grand-chose à dire, tu sais… »

            Il la prit par les épaules.

            « Viens. On va faire un tour avant que tout le monde ne se réveille. »

            Les rues étaient désertes. Tout était humide ; il faisait chaud dehors et cela se ressentait. Une sorte de brume emplissait les souterrains, trempant la peau et les vêtements. Déjà moites après cinq minutes de promenade, ils s’assirent sur un banc éclairé par un réverbère orange. Ce banc, placé sur un toit, dominait une grande partie de la ville.

            « Pourquoi est-ce que tu ne m’as pas donné un nom slave ? lâcha Bastien.

- Je ne devais pas être très inspirée ce jour là… Et puis ton deuxième prénom est slave.

- Juif, rectifia Bastien. Reuben, c’est juif.

- Si tu veux… Moi je trouve que ça te va bien. »

Pendant plusieurs minutes, ils ne dirent rien. Cela leur arrivait souvent de rester tous les deux comme cela, muets, l’une maîtresse tout puissante de la Nécropole et lui, son protégé, qui lui était dévoué corps et âme.

« Le soleil se couche dehors, » dit-elle.

Elle se leva et lui sourit. Ca y est. Olga, créature surnaturelle et protégée des forces invisibles était là à nouveau.

« Prêt pour une virée en surface ? Le chemin le plus court pour aller à l’arrêt de bus, c’est par là. »

Et elle sauta dans le vide.

« C’est pas juste, tu as triché ! »

Et il lui courut après sur les toits de la Nécropole.

Ecrit par Kit, le Mercredi 8 Septembre 2004, 01:01 dans la rubrique "Les Chroniques de la Nécropole".

Repondre a cet article